MH17 : Responsabilité juridique contre Responsabilité politique.

Le 17 juillet 2014, un avion de la Malaysia Arlines, reliant Amsterdam à Kuala Lumpur,a été abattu, causant le décès 298 passagers et membres d’équipage.

Une tragédie d’une telle dimension a un impact humain immense.

Le présent article soit aussi un modeste hommage rendu aux familles et aux proches des personnes disparues dans cette terrible catastrophe. Les statistiques historiques montrent que deux avions de même modèle et de la même Compagnie ne s’écrasent pas dans un délai si court, causant la mort de plus de 500 personnes, de plusieurs nationalités. La tragédie du vol MH 17 aura d’indubitables conséquences politiques qui modifieront certainement dans les prochains mois la carte politique de la zone et altéreront l’équilibre des forces des puissances qui y sont présentes.

D’autre part, il est raisonnable de considérer que les effets sur l’industrie aéronautique de la tragédie du MH 17 ne seront pas minimes. En effet, cette catastrophe peut provoquer sur la Cie, sur les constructeurs, sur le marché de l’assurance aéronautique, des effets destructeurs.

Il est cependant opportun, sur la base de l’information disponible à l’heure de la rédaction de cet article, de commencer à se poser des questions sur certaines conséquences juridiques de cette terrible tragédie.

Qui est responsable de l’enquête ?

Une réglementation internationale régit les conditions dans lesquelles une enquête officielle doit être menée à la suite d’un accident aérien international. L’annexe 13 de la Convention de Chicago en prévoit les conditions quant à qui doit mener l’enquête, quand et comment elle doit avoir lieu.

L’État de survenance de l’accident a la responsabilité d’organiser, de diriger et de mener à terme l’enquête. Les États du pavillon ou de construction de l’aéronef accidenté ont eux aussi le droit d’y participer. Les États ayant perdu des ressortissants dans l’accident peuvent également intervenir, mais de façon plus limitée.

L’État de survenance de l’accident a la faculté de déléguer à un État tiers tout ou partie de l’enquête. Ceci est particulièrement nécessaire quand un accident grave survient dans un pays ne disposant pas des ressources d’enquête nécessaires.

Concrètement, cet accident (le terme peut s’avérer inapproprié étant donné les faits connus) semble être survenu dans l’espace aérien de l’Ukraine, et il incomberait par conséquent au gouvernement de ce pays de prendre le contrôle de l’enquête, en commençant par la récupération urgente et sécurisée des débris les plus significatifs, des enregistreurs de vol, des données disponibles de contrôle du trafic aérien.

La situation politique dans l’est du pays, dont les territoires sont hors le contrôle du gouvernement et aux mains de rebelles séparatistes, ne semble pas conduire à penser que le gouvernement ukrainien soit en condition de remplir de façon appropriée la mission que lui impose les textes.

L’enchaînement des actes passant par la sauvegarde, le maniement, le traitement professionnel des éléments de l’enquête est un élément fondamental pour garantir une enquête professionnelle et indépendante, et il ne semble pas actuellement que cette intervention soit garantie, étant donné que, par exemple, les « boites noires » ont été transportées à Moscou.

L’annexe 13 prévoit que, quand il n’est pas possible d’établir pleinement que le lieu de l’accident se trouve sur le territoire d’un État, l’état d’immatriculation assumera la responsabilité d’instituer et de mener à bien l’enquête de l’accident ou de l’incident grave, sauf à ce que la mise en œuvre de l’enquête puisse être déléguée, totalement ou partiellement, à un autre État, par accord et consentement mutuels (art.5.3).

Il existe donc des mécanismes qui pourraient éventuellement permettre le transfert de la responsabilité de l’enquête à un autre État.

Cependant, il est nécessaire qu’il y ait un accord entre les États concernés, ce qui peut provoquer un désaccord politique supplémentaire entre des pays déjà en conflit.

La compagnie aérienne est-elle responsable du dommage causé ?

Indépendamment des causes ayant provoqué la chute de l’avion, nous sommes, selon la norme internationale, face à un accident auquel s’applique le régime légal de responsabilité quant aux passagers.

La Convention de Montréal de 1999, applicable dans le présent cas, régit, en cas d’accident, la responsabilité de la Compagnie aérienne. Selon ladite Convention, les Compagnies aériennes, indépendamment des causes de l’accident, sont responsables de tous les dommages causés aux passagers.

En principe, cette responsabilité est illimitée, sauf si la Compagnie aérienne démontre que « le dommage n’est pas dû à la négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable du transporteur, de ses préposés ou de ses mandataires, ou
[…] que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d’un autre acte ou omission préjudiciable d’un tiers ».

Si tel était le cas, le transporteur pourrait limiter sa responsabilité à un montant équivalant à environ quelques 130.000 euros (113.100 Droits de tirages spéciaux, panier de devises virtuelles établies par le Fond Monétaire International).

L’une des premières questions que l’on se pose est celle de la route choisie par l’avion.

Le gouvernement malaysien et les dirigeants de Malaysia Airways (MAS) se sont précipités pour affirmer catégoriquement que la route était sûre et qu’il n’y a rien à leur reprocher à ce sujet. Il convient de rappeler que MAS est une société dont les parts sont majoritairement détenues par l’Etat malaisien qui lutte actuellement pour sortir d’une importante crise économique, laquelle a causé de grosses pertes à la Compagnie et à ses actionnaires.

Cependant, les informations dont on dispose indiquent que l’on avait connaissance des risques encourus en cas de survol de cette zone « chaude », et plus concrètement que certains Etats avaient émis des avertissements à ce propos. Les NOTAM (« Notice to Airmen ») sont des informations pour les aviateurs émises par les autorités aéronautiques, et qui peuvent affecter les opérations aériennes. (Systèmes hors services dans les aéroports, aide à la navigation, évènements climatologiques, zones de conflits, etc.)

Depuis le 23 avril dernier au moins, on a connaissance du NOTAM 4/7667 (A0012/14) émis par l’Autorité Aéronautique Civile Américaine (FAA) dans lequel le survol de la région de Simferopol (UKFV) est interdit ou restreint de manière importante, jusqu’à nouvel ordre.

Un NOTAM postérieur, B1258/14, émis le 30 juin par les autorités aéronautiques du Royaume-Uni (NATS), avertit des risques de survol de cette même zone de conflits.

Il est certain que l’interdiction établie par la FAA oblige seulement les opérateurs qui dépendent des autorités américaines auxquels elle est imposée, ce qui, en principe, n’est pas le cas de Malaysian Airlines (MAS).

Cependant, en de telles circonstances et en l’état de telles informations, nécessairement connues par MAS, il est peu probable que la Compagnie aérienne puisse efficacement démontrer l’une des exceptions prévues à l’article 21 de la Convention de Montréal (cité plus haut). Et, pour cette même raison, il probable qu’elle devra faire face à la réparation intégrale de tous les dommages subis par les familles des victimes de cette tragédie aérienne.

Tout cela, sans préjudice des actions qu’elle pourra engager contre des tiers, droit spécialement réservé dans l’article 37 de la Convention de Montréal.

Les proches des passagers, selon les données inhérentes à ces derniers (entre autre l’Etat des résidence de la victime, l’Etat d’acquisition du billet, la destination finale du vol tel qu’apparaissant sur le contrat de transport), disposeront de diverses options juridictionnelles, ce qui conduira à des critères différents d’évaluation du préjudice, en fonction du droit applicable qui en résulte. Cette question, en raison de son évidente complexité, dépasse l’objet du présent article.

Les considérations qui précèdent peuvent se voir modifiées en fonction des circonstances politiques qui entourent les faits, ce qui pourrait donner lieu à différents scénarios dans lesquels les Etats eux-mêmes, directement ou indirectement impliqués dans la tragédie, pourraient en arriver à devoir participer au processus des réparations économiques. Il en fut ainsi de l’affaire du vol 103 de la Pan Am, aéronef détruit par l’explosion d’une bombe embarquée en soute, lors du survol de la localité de Lockerbie (Ecosse) en décembre 1988, catastrophe qui causa la perte de 270 vies humaines, dont de 11 personnes au sol.

Si la Compagnie fait faillite, existera-t-il une couverture d’assurance ?

Il n’est pas déraisonnable de penser que cette catastrophe, à relier à la disparition du vol MH 370 en mars 2014, entraîne pour la Compagnie une spirale de pertes susceptibles de la mener à sa fin. En effet, malgré le fait d’être une Compagnie de premier ordre, avec une flotte de plus de 100 avions, elle peut se voir contrainte à la faillite par le fait de subir au cours de la même année deux catastrophes aériennes de grande ampleur et dans des circonstances complètement inusuelles.

Dans ces circonstances, si la Compagnie aérienne n’était pas solvable, l’assurance de responsabilité civile devrait en principe garantir le paiement de toutes les indemnisations qui seraient établies en cas de responsabilité décrite plus haut.

Dans notre pays nous avons l’exemple récent de l’accident de la Spanair à l’aéroport de Barajas, dans lequel la Compagnie aérienne a fait faillite suite à l’accident. Dans ce cas-là, la Compagnie d’assurances Mapfre est obligée de faire face aux indemnisations. Il est nécessaire de savoir que le risque dérivé de l’opération aérienne est normalement réassuré à 100 % auprès d’un ou de plusieurs marchés de réassurance, et c’est pour cette raison que l’entité qui, formellement, assure, n’est pas celle qui signe les chèques.

A ce stade, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si la possible cause de la chute de l’aéronef, c’est-à-dire le tir d’un missile sol-air, pourrait de quelque manière que ce soit, affecter la couverture d’assurance.

Traditionnellement, les « risques de guerre » étaient exclus de la couverture dans les polices d’assurance aéronautiques. Après un long processus, y a été incluse la couverture de la coque et, plus récemment, la couverture des passagers.

Au jour d’aujourd’hui cette couverture est généralement standard et incluse dans les contrats d’assurances au moyen de la clause appelée AVN52 (actuellement, et spécialement après les événements du Onze Septembre, on utilise la version AVN52E de ladite clause, tandis que, par ailleurs, celle-ci est d’application obligatoire en Europe en vertu des dispositions des articles 4 et 7 du Règlement CE 785/2004) qui doit contenir en principe une couverture minimale envers les passagers de deux mille millions de dollars par sinistre.

L’existence de cette clause dans les contrats d’assurances est au surplus et habituellement une condition nécessaire pour l’obtention, par les compagnies aériennes, du financement destiné à l’acquisition ou à la location des aéronefs.

Il est à prévoir que, dans l’ombre, les puissants réassureurs luttent d’arrache-pied pour faire en sorte que la Compagnie aérienne bénéficie de la limite de responsabilité prévue à l’article 21 de la Convention de Montréal.

Les intérêts économiques en jeu sont énormes, surtout si l’on tient compte de ce que c’est le deuxième sinistre au sein de la même Compagnie (avec, probablement, les mêmes assureurs et réassureurs). La plus que probable responsabilité sans limitations à laquelle se confrontent les assureurs à l’occasion de la disparition du MH370 pourrait intensifier l’intérêt des assureurs à voir s’appliquer une limitation du risque financier pour le MH17.

Les familles peuvent par conséquent être amenées à devoir faire face à une dure bataille juridique dont le tempo se verra indubitablement affecté par la résonance
politique de l’événement, et par la situation critique, à tous les niveaux, du pays qui, selon toute vraisemblance, devra mener l’enquête sur l’accident ; pour cela, les familles devront compter sur de meilleures armes en matière technique et juridique.