AH5017 : Une histoire qui se répète ?

Le récent accident du vol AH5017 d’Air Algérie/Swiftair à Gao (Mali) survenu le 24 juillet 2014 pourrait mettre en évidence de graves défaillances systémiques dans le transport aérien, notamment avec des avions comportant des technologies déphasées avec d’importantes limitations techniques, lesquelles sont, dans la plupart des cas, bien connues de l’industrie, dans la mesure où elles ont déjà provoqué des catastrophes dans un passé récent (notamment l’accident de la West Caribbean Airways en 2005).

Certes, les informations rapportées par le BEA sont pour l’instant limitées, mais elles permettent d’établir quelques hypothèses sur le scénario de cette tragédie et de le mettre en perspective avec la catastrophe de la West Caribbean.

Le vol AH5017 se déroulait normalement jusqu’à ce que l’aéronef eût atteint l’altitude de croisière de 31.000 pieds (FL310). A ce moment-là, la vitesse indiquée était de 280 nœuds.

Au cours des minutes qui suivirent, la vitesse a diminué progressivement jusqu’à 160 nœuds, ainsi que l’altitude. Puis l’avion est parti en virage à gauche et a perdu rapidement de l’altitude, se mettant en spirale jusqu’à l’impact.

On peut se demander pourquoi, après avoir atteint l’altitude de croisière, le vol Ah5017 a commencé à perdre de la vitesse, et ce de façon progressive.

Cela pourrait être la conséquence de l’activation des systèmes antigivrage de l’avion, en présence d’une formation nuageuse de cumulonimbus qu’il n’a pu éviter, bien que s’étant dérouté vers la gauche à son approche.

La formation de givre sur les bords d’attaque des surfaces, sur la queue, les carénages des moteurs et sur d’autres surfaces, crée des turbulences, déforme les surfaces de l’avion, rendant celui-ci moins pénétrant à l’air, « freinant » l’avion d’un point de vue aérodynamique, pouvant provoquer une perte de sustentation (décrochage).

Les avions de la série MD sont dotés d’un système antigivre qui est cyclique, et qui agit sur certaines des surfaces sur lesquelles le givre peut se former. Le système est nourri par une partie de l’énergie délivrée par les moteurs, qui est ensuite dévié vers le dégivrage. En conséquence, la puissance des moteurs consacrée au vol diminue sensiblement, limitant les capacités (« performances ») de l’avion. Il est généralement considéré que l’activation des systèmes antigivrage implique une perte de « performance » équivalant à 3.000 pieds d’altitude.

Quand l’équipage prend la décision d’activer le système, il doit activer deux systèmes indépendants l’un de l’autre (à part d’autres systèmes accessoires antigivrage).

Le premier système, dit « ENG », concerne le dégivrage des moteurs (bords d’attaque d’entrée des moteurs, « fairings » de la boite d’accessoire avant, bords d’attaque des ailettes d’entrée des compresseurs).

Le deuxième système, dit « AIRFOIL », concerne les bords d’attaque des ailes et du plan horizontal situé en queue. Une fois activé, le système chauffe les bords d’attaque (« slats ») des ailes pendant quinze minutes. Après seulement, l’énergie se déplace vers le plan horizontal situé en queue, moyennant un mécanisme pneumatique qui déforme par gonflement les bords d’attaque et rompt les plaques de givre déjà formées.

La queue reste donc sans protection pendant 15 minutes, ce qui peut provoquer, pendant cette même période, la déformation du profil par accumulation de givre, et une réduction significative du Cx.

En plus, les MD sont habituellement équipés de petites excroissances supplémentaires dénommées « strikers », sur le nez de l’avion et sur les capots moteurs (éléments qui ont été ajoutés à certaines versions de la série MD 80 pour améliorer la stabilité à basse vitesse), et qui sont propices à la formation de givre sur toutes les surfaces, tout en ne bénéficiant d’aucun système antigivre.

Il faut ajouter à ces éléments les particularités aérodynamiques de cet appareil (queue en forme de « T », ailes en « flèche ») qui le rend délicat à manœuvrer dans des conditions météorologiques adverses.

Le scénario du vol AH5017, jusqu’au virage à gauche, est compatible avec une action de lutte contre le givre en présence d’un cumulonimbus. L’activation du système antigivrage a pu entraîner une perte de puissance, et donc, possiblement, de vitesse et même d’altitude.

Le rapide déroulement des évènements (incapacité d’évitement de l’orage) n’aurait pas permis au système antigivrage de s’activer sur la queue, avec accumulation en très peu de temps d’une quantité de givre très importante, favorisée par la réduction de la vitesse et les très basses températures associées à l’orage.

La brusque mise à piquer en spirale du vol Ah5017 suggère la perte totale de contrôle sur la queue, et que les gouvernes de profondeur et le plan horizontal réglable se soient de la sorte trouvés tous deux bloqués par la glace, et ainsi soustraits à toute maniabilité par les pilotes.

Une autre possibilité associée à cet évènement est la séparation d’un élément de structure. En effet, l’empennage tout entier a pu lui aussi se trouver exposé à une cassure, sous l’effet conjugué d’un blocage par les plaques de givre et d’une action en résistance des pilotes ou du PA exercée sur les surfaces.

Cela pourrait expliquer le mouvement de rotation et de spirale de l’appareil, par le fait de la perte d’un élément de structure, principalement de tout ou partie de l’empennage commandant l’axe de tangage de l’appareil.

Cette hypothèse pourrait se trouver accréditée si la surface de contrôle en cause venait à être retrouvée – nécessairement en un lieu différent de celui de l’impact de l’appareil lui-même.

Ce qui est comparable à la situation du crash du MD 82 de la West Caribbean du 16 août 2005, c’est précisément le givrage des surfaces, phénomène qui a très probablement affecté aussi le MD 83 du vol AH5017, dès lors qu’affrontant pareillement un cumulonimbus.

Dans le cas du crash du MD 82 le 16 août 2005, il est ressorti du DFDR/enregistreur de paramètres, les éléments suivants :

Approximativement à 06h 43mn.00s, l’aéronef avait atteint le niveau de vol 330. A partir de ce moment et jusqu’à approximativement 06h.50mn.00s, le pilote automatique avait stabilisé la trajectoire et il s’était produit une augmentation significative de la vitesse jusqu’à Mach 0,76.

Le vol Ah5017 était manifestement stable et l’aéronef évoluait avec maintien de son altitude.

C’est à partir de 06h.50mn.00s que l’on commença à observer une diminution lente de la vitesse, et parallèlement une augmentation de l’assiette à cabrer de l’avion.

Pour l’essentiel, le pilote automatique essayait de maintenir l’altitude sélectionnée, agissant sur le TRIM, c’est-à-dire sur le réglage du plan horizontal en queue.

En toute logique, la perte de vitesse allait donner à l’avion une tendance à la descente, tandis que le mouvement de TRIM à cabrer allait essayer de compenser cette tendance à la descente.

On peut dire que la perte de vitesse constituait un symptôme, et que le mouvement du TRIM à cabrer fut une réaction du pilote automatique à ce symptôme, démultipliant en plus l’intensité du symptôme.

Mais le symptôme avait comme origine un fait identique à celui du vol AH5017 : l’activation des systèmes antigivrage.

Finalement, dans le cas du crash West Caribbean du 16 août 2005, l’avion avait décroché de façon différente (avec une forte incidence à cabrer, au lieu d’une spirale à piquer, cela dû au fort « trimmage » à cabrer entamé par le PA), mais la chaîne des évènements ayant conduit à cette situation irréversible pourrait être similaire : mauvaises conditions méteo à haute altitude ; inefficacité et/ou obsolescence du système antigivrage ; particulière et difficile conception aérodynamique de cet avion.

AH5017: L’histoire se répète-t-elle ?