Catastrophe ferroviaire d’Eseka : le rapport de la commission d’enquête dévoilé

Le 23 mai 2017, les premières conclusions de ladite commission sur la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016, ont été rendues publiques. Le communiqué de la Présidence, lapidaire, est disponible ici.

La « vitesse excessive » du train, évaluée à 96 km/h lors de son entrée dans la gare d’Eseka – alors que sur ladite portion, celle-ci est limitée à 40 km/h – est désignée comme la cause à l’origine de l’accident, engageant « à titre principal » la responsabilité de la société d’exploitation des lignes ferroviaires camerounaises, Camrail, filiale du Groupe français Bolloré.

La commission d’enquête souligne également « une surcharge du convoi et un rallongement inapproprié de la rame ». Pour mémoire, l’affluence de voyageurs était due à l’effondrement d’un pont sur la route reliant Yaoundé à Douala, contraignant ses utilisateurs à se déplacer via la ligne ferroviaire, dont certains sans billet.

A l’accoutumée, le convoi Yaoundé-Douala était composé de 9 wagons ; au lendemain de l’effondrement du pont, c’est 8 wagons qui avaient été ajoutés pour faire face à l’afflux de demandes des voyageurs.

Le rapport mentionne également que des réserves avaient été émises par le conducteur du train auprès de sa hiérarchie, sans que celles-ci aient été prises en compte et suivies de remèdes adéquats.

La défectuosité des dispositifs de freinage est également en cause concernant plusieurs wagons du convoi ferroviaire.

En somme, l’existence de défaillances et anomalies plurielles est pointée, notamment en ce qu’il est constaté le non-respect de nombreuses règles de sécurité.

Le 17 mai 2017, une procédure a été engagée devant la juridiction des référés du Tribunal de première instance de Douala à l’encontre des dirigeants des sociétés Camrail et de Bolloré Transports Logistics qui détient plus de 77 % des parts de la société.

Cette première procédure, initiée par deux familles de victimes, n’a pour seul objet, que de demander la restitution des corps des personnes décédées dans la catastrophe. Il semblerait en effet que les opérations d’identification n’aient toujours pas été terminées, laissant de nombreuses familles dans l’attente de la confirmation qu’un proche disparu, était présent à bord du train Intercity 152 du 21 octobre 2016.

Par ailleurs, de nombreuses familles ont porté plainte auprès du Tribunal de première instance d’Eseka. Les suites de ces plaintes sont pour l’heure inconnues.

Toutefois, par communiquées et déclarations des collectifs de victimes et de Camrail, deux théories s’affrontent :

– Celle de Camrail et de Bolloré, alléguant l’instrumentalisation de la justice, la tentative de l’État camerounais de remettre en cause la concession de 20 ans accordée à Camrail en 1999, et un règlement de compte tardif de la colonisation française.

– Celle des victimes et de leurs familles, pointant l’impunité des investisseurs français au Cameroun, le groupe Bolloré étant en l’occurrence bénéficiaire de concessions dont les résultats fructueux permettraient la maintenance des équipements mais dont la course effrénée vers les profits les conduits à n’investir que le strict minimum tout en maximisant les rendements.

Rappelons que le Cameroun a été soumis à la colonisation des Portugais, des Néerlandais puis des Allemands jusqu’en 1914 ; au lendemain de la guerre 14-18, le pays fut confié par la SDN au Royaume Uni et à la France qui en dirigera la majeure partie jusqu’à son indépendance, en 1960.

Devant l’émoi populaire provoqué par l’accident, le gouvernement de Paul Biya dont le règne mandat se compte en décennies, a décidé de mettre en œuvre un plan d’action global, ouvrant deux enquêtes, une par la gendarmerie et une par la police judiciaire.

La justice camerounaise devra faire preuve d’indépendance afin d’instruire et renvoyer à qui de droit devant une juridiction de jugement, les responsables de la catastrophe dont le nombre de disparus font craindre une catastrophe bien plus meurtrière que celle annoncée par les chiffres officiels.

Comme nous l’évoquions ici, plusieurs juridictions françaises ont également été saisies pour des victimes qui avaient compétence en France et dont les suites procédurales seront probablement développées à la rentrée 2017, information que BCV Lex ne manquera pas de relayer.

Le rapport d’enquête, dont les conclusions ont été dévoilées le 23 mai 2017, bien qu’il ne lie pas les juridictions françaises, en ce qu’elles sont indépendantes et souveraines, donc étrangères au système juridictionnel camerounais, il ne fait toutefois peu de doute que les parties auxquelles profitent ces résultats, ne manqueront pas de s’en prévaloir, et celles à qui ils portent préjudice, solliciteront des juridictions françaises une expertise indépendante.

Le dossier n’en est donc qu’à son commencement et eu égard aux intérêts financiers, politiques et diplomatiques en présence, nul doute que son règlement prendra plusieurs années.

BCV Lex a eu l’occasion de réfléchir, tant à l’occasion de ce drame que de catastrophes comparables, sur les problématiques juridiques auxquelles le droit international et le droit comparé offrent des solutions intéressantes, aussi bien en termes de loi applicable que de juridiction compétente, en sorte de conduire à ce que le litige, à la fois indemnitaire et pénal, puisse conduire, devant les juridictions françaises, à un aboutissement satisfaisant pour les victimes et leurs proches.