Lactalis (III) : le tournant politique du scandale agro-alimentaire
Le scandale Lactalis, mis au jour début décembre 2017, intervient dans un contexte singulier opposant les éleveurs et le géant laitier.
Une crise du secteur laitier
Cette crise intervient alors que les éleveurs sont en situation difficile depuis des années et plus particulièrement depuis la fin des quotas de lait.
Mis en place en 1984 pour limiter les excédents de production en Europe, ils ont été supprimés par l’UE le 1er avril 2015.
En théorie, les producteurs pouvaient produire plus, générant plus de revenus.
En pratique, ils sont liés aux laiteries par des contrats abscons consacrant une grande incertitude sur le prix du lait qu’il leur sera payé.
Le magazine d’investigation Cash Investigation a mis en lumière des pratiques contestables de la part du groupe Lactalis.
Et notamment, la quasi absence de négociation par l’imposition des prix par l’entreprise à ses producteurs.
Le magazine interroge notamment un agriculteur qui avait témoigné auprès d’Envoyé Spécial. Ceci lui a valu une rupture des relations avec Lactalis.
Le groupe Lactalis : des relations singulières avec l’État
Le groupe laitier fut convoqué le 12 janvier par le Ministre de l’économie.
Il est résultait des derniers contrôles et de cet entretien le rappel de l’ensemble des produits et non plus seulement ceux produits à partir du 15 février à Craon.
Le très discret patron de Lactalis n’apparait pas dans les médias et a très peu communiqué depuis le début de la crise.
L’ancien ministre de l’Agriculture déplorait ne pas avoir son numéro de téléphone. Ceci en dit long sur les relations entre l’entreprise et le gouvernement.
Le géant outrepasserait-il ses droits en ce prévalant de sa puissance financière ?
C’est en tout cas ce qui transparaissait du reportage de Cash investigation susmentionné.
Les comptes annuels de l’entreprise ne sont pas déposés au Tribunal de Commerce, comme l’impose la loi pour toutes les sociétés commerciales.
Le code rural et de la pêche maritime prévoit des mesures spécifiques concernant les sociétés commerciales agro-alimentaires. En effet, une astreinte de 2 % du chiffre d’affaires (HT) journalier moyen par jour de retard peut être fixée.
Cela ne semble pas avoir été mis en œuvre, et pour cause, le Vice-Président du Tribunal de Commerce mayennais est un cadre dirigeant de Lactalis…
Si le tribunal de commerce est une juridiction consulaire (magistrats bénévoles non professionnels élus), le conflit d’intérêt est notable.
Cette arrogance n’est pas sans conséquence sur la crise.
Parallèlement, la Justice diligentait le 17 janvier 2018, 4 perquisitions auprès d’infrastructures Lactalis. Elles concernaient notamment le siège social de Lactalis à Laval et l’usine de Craon.
Les correctifs proposés
Alors que le groupe laitier assurait maintenir la collecte laitière, des engagements devaient être pris.
Le président du groupe s’engageait à une “une refonte du plan de maîtrise sanitaire“.
Celle-ci devait “renforcer la surveillance des procédés de fabrication et anticiper toute survenue d’une contamination”.
De son coté, le gouvernement plaidait pour un plan de contrôle spécifique concernant la productions de produits infantiles.
Un cadre juridique renforcé était suggéré concernant la transmission de l’ensemble des résultats de contrôles sanitaires par les entreprises
S’ajoutait la proposition de créer un site internet “guichet unique” pour les retraits / rappels de produits. Il serait consultable par les consommateurs. Ces derniers auraient également la possibilité de signaler des anomalies grâce à la création d’une nouvelle interface
Finalement, coté distributeurs, le ministre de l’Économie sollicitait le renforcement des sanctions en cas de commercialisation de produits retirés ou rappelés.
Reste à savoir si ces remèdes seront suffisants pour qu’un scandale d’une telle ampleur ne se reproduise pas.