Accident AH5017

AH5017: L’histoire se répète-t-elle vraiment ? (II)

Vers quatre heures du matin (1h47m UTC) ce 24 juillet 2014, un MD 83 opéré par la Compagnie espagnole SwiftAir, affrété par la Compagnie Air Algérie (vol AH5017), s’écrasait au Mali au cours du vol Ouagadougou (Burkina Faso) – Alger (Algérie).

Tous ses occupants, 6 membres d’équipage et 110 passagers, ont péri dans l’accident.

Le 20 septembre 2014, la Commission d’Enquête sur les Accidents et Incidents de l’Aviation Civile mise en place par le Gouvernement du Mali publiait un Rapport Préliminaire sur l’accident. Ce rapport peut être consulté sur le site officiel du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses français: http://www.bea.aero/docspa/2014/ec-v140724.e1/pdf/ec-v140724.e1.pdf.

Avant d’analyser les données disponibles de ce rapport, il convient de donner une explication aussi simplifiée que possible de quelques notions de base :

1) Mesure de délivrance de puissance des moteurs

Sur les moteurs équipant le MD83, la poussée se mesure par la comparaison des flux d’entrée et de sortie d’air. Deux capteurs, placés, l’un dans l’entrée d’air, et l’autre juste derrière la turbine, mesurent chacun une pression. C’est le rapport entre ces deux pressions, appelé EPR (Engine Pressure Ratio), qui mesure la poussée du moteur. Ce rapport s’exprime par la formule:

EPR = PT7 /PT2

PT 2 étant le flux d’air en entrée de la turbine et PT 7 le flux en sortie.

L’information EPR est donnée au moyen d’indicateurs, pour chacun des moteurs, sur le tableau de bord au cockpit.

Avec le moteur au ralenti (Idle), l’indice EPR est généralement proche de 1 puisque le flux d’entrée d’air est égal à celui en sortie. Au fur et à mesure que la puissance augmente, l’indice augmente également, la combustion interne carburant/air comprimé faisant augmenter la pression en sortie de moteur pour générer la propulsion.

L’EPR est donc maximal au décollage, là où il faut le maximum de poussée, et diminuera au fur et à mesure de la montée. Par exemple, il est normal qu’à l’altitude de croisière, la valeur de l’EPR soit d’environ 1,8.

La valeur EPR peut aussi être influencée, mais dans une faible amplitude, par les conditions de pression atmosphérique, d’altitude et de température.

2) Système automatique de contrôle de la puissance moteur

Au cours des différences phases de vol, et en fonction des modes de fonctionnement des automatismes dont dispose l’aéronef, il est possible de contrôler automatiquement la poussée délivrée par les moteurs. Cela ne signifie pas de laisser le levier de poussée en position fixe, mais de faire varier sa position automatiquement en fonction de plusieurs paramètres comme l’altitude, la vitesse, mais aussi en fonction des prélèvements d’air comprimé utilisé pour la pressurisation ou l’anti-givrage. Ce système est techniquement indépendant du pilote automatique qui, lui, pilote la trajectoire. On peut piloter l’avion avec le pilote automatique tout en contrôlant manuellement la poussée (cas de panne par exemple). Mais, en général, une trajectoire n’a de sens que si une vitesse lui est associée : c’est le rôle du contrôle automatique de la poussée.

Ainsi l’Auto Throttle, appelée « auto-poussée » dans le monde Airbus, contrôle l’EPR au travers de plusieurs modes de fonctionnement. Le pilote choisit une poussée ou mode de fonctionnement (par exemple maintien d’une vitesse présélectionnée), un calculateur définit la valeur de l’EPR associée à cette demande, et le système Auto-Throttle vient ajuster la position du levier de poussée de façon à obtenir le résultat escompté.

3) Protection contre le givrage

Les systèmes de protection contre le givrage utilisent principalement de l’air comprimé et chaud (ailes, entrées d’air des moteurs, stabilisateurs horizontal et vertical) et pour certains systèmes, la chaleur produite par des résistances électriques (réchauffage des sondes ou capteurs, des drains d’eaux usées, des pare-brise …).

L’air comprimé et chaud est aussi utilisé pour la pressurisation et le conditionnement d’air dans la cabine : il provient du chaque moteur, dans les étages dits de compresseur, en amont des chambres de combustion.

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Il existe donc trois systèmes séparés :

i) un système électrique lui même divisé en plusieurs sous-systèmes en fonction des utilisateurs (sondes Pitot, capteurs d’angle d’attaque, instruments de mesure de températures, etc.),

ii) un système désigné sous l’appellation « WING ANTI ICE » ou « AIR FOIL », permettant le dégivrage et l’anti-givrage des ailes et des stabilisateurs verticaux et horizontaux et

iii) un troisième système, appelé ENG ANTI ICE (pour antigivrage moteur) couvrant spécifiquement les entrées d’air des moteurs, là où se trouve le capteur PT2 dont nous avons déjà parlé dans la description du système de contrôle de la poussée.

La protection des ailes et des stabilisateurs horizontaux et verticaux est activée dès que le pilote sélectionne l’interrupteur « AIR FOIL » sur ON.

Ce système active ainsi un cycle continu de 15 minutes sur les ailes (bord d’attaque ou slats) et 2m30 de dégivrage sur le stabilisateur horizontal. Ce cycle automatique peut être modifié à tout moment en pressant l’interrupteur TAIL qui fera s’activer immédiatement le cycle de 2m30 de chaleur de dégivrage sur le stabilisateur horizontal, le cycle complet s’initiant alors à nouveau complètement.

Dans le poste de pilotage, le tableau des systèmes contre le givrage se présente de la façon suivante :

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En marge des systèmes qui sont activés en permanence et de manière automatique, le prélèvement d’air sur les moteurs pour assurer l’anti-givrage et le dégivrage influence logiquement la poussée utilisable pour propulser l’appareil. La perte mesurée par l’indicateur EPR s’établit aux environs de 0,20 points d’EPR.

Cette perte peut être substantielle et même critique, selon la phase de vol et les conditions aérodynamiques. Normalement, on assimile l’activation des systèmes contre le givrage à une perte de rendement équivalant à 3.000 pieds (1.000 mètres) d’altitude.

4) Calcul de rendement

Pour tout aéronef, il existe une altitude de croisière dite « optimale », en fonction du type considéré (ailes, moteurs et association ailes/moteurs), de la charge et des conditions météorologiques. L’aéronef peut voler à une altitude plus élevée, mais les marges de fonctionnement sont alors fortement réduites.

Le pilote essaye donc logiquement d’évoluer à l’altitude optimale, à la fois pour protéger la sécurité de son vol mais aussi pour optimiser le rendement de son appareil.

Si le choix de l’altitude de croisière peut être anticipé dès la préparation du vol, il faudra le confirmer en fonction des conditions réelles : c’est l’une des opérations réalisées dès après le décollage, pendant la montée intermédiaire. En outre, les conditions opérationnelles variant tout au long du vol, notamment en ce qui concerne la masse de l’appareil qui s’allège de son carburant brûlé, ce calcul sera en permanence actualisé.

Ainsi, et en ce qui concerne le vol AH5017, quelle aurait été l’altitude optimale, par exemple à Mach 0,75, pour un poids de 150.000 livres (comme indiqué dans le Rapport d’enquête précité), et avec les systèmes anti-givrage activés ?

Quelle serait aussi la valeur de l’EPR en croisière au niveau de vol choisi ?

Quelle était la marge de manœuvre par rapport aux limites du domaine de vol, en conditions normales mais aussi et surtout en conditions dégradées, par exemple à cause des orages présents sur la route prévue ?

Quel aurait été le niveau de vol maximal possible ?

***

Bien que le rapport précité du BEA n’avance aucune cause possible, se limitant à proposer diverses informations factuelles, incluant le contenu de quelques paramètres de l’enregistreur des données de vol (DFDR), nous pouvons pour l’heure parvenir à quelques conclusions préliminaires :

1. L’avion n’était pas surchargé. Selon l’information disponible, l’avion a décollé avec un marge de 10.000 livres (environ 5.000 kilos) en dessous du poids maximum autorisé pour le décollage de ce modèle d’avion. Avec à peine 110 passagers, les soutes à moitié remplies et avec une charge en combustible de 39.500 livres, bien en dessous de la capacité maximale (quelques 58.500 livres), l’avion évoluait dans les limites des paramètres, de poids, et de centrage prévues par le fabricant (page 16 du Rapport Préliminaire).

2. L’altitude initiale de croisière n’était pas excessive au regard du poids et de la météorologie. Après avoir sollicité une altitude de croisière initiale de 33.000 pieds (FL330), l’équipage avait sollicité, avant le décollage, un changement pour une altitude moindre (page 8), considérant qu’il y avait trop de poids pour FL 330 (page 53, à 1h 10m 29s).

3. L’aéronef arrive à FL310 après une montée sans incident, à approximativement 1h 27m. A ce point il se stabilise avec un EPR de 2.1 et un MACH de 0,70 (valeurs approximatives). L’auto-manettes (Auto-Throttle, A/T) était en mode MACH EPR LIMIT. Le pilote automatique est activé en mode ALT HOLD. La situation semble totalement normale.

4. A approximativement 1 h 38 m se produit un changement du mode de l’A/T qui passe d’abord en mode MACH, puis à SPD/MACH ALT, pour ensuite revenir à MACH à 1h 39m. Une minute après (1h 40m) l’A/T repasse successivement par plusieurs modes distincts pour se stabiliser à nouveau en MACH EPR LIMIT à approximativement 1h 40m 50s. Nous ne disposons en l’état d’aucune explication sur ces changements : sont-ils décidés par le pilote ? Sont-ils des modes de fonctionnement normaux et si oui, en fonction de quelle information ?

5. A partir d’1h 38m on observe des réductions successives dans l’EPR, lequel descend de 2.1 à 1.5 peu avant 1h 40m pour, postérieurement, se stabiliser à approximativement 1.8 au cours des 4 minutes suivantes.

6. À partir du premier changement de mode A/T et la baisse consécutive de l’EPR, on observe une diminution progressive de la poussée qui passe d’approximativement de 1.8 à 1.55 à 1h 45m. La baisse de vitesse est accompagnée d’un déplacement progressif du TRIM de profondeur qui passe de 1° à 3° à cabrer à 1h 45m.

7. A 1h 45m se produisent pendant quelques 30 secondes de fortes oscillations dans l’indication EPR.

8. Avec ces paramètres (puissance réduite, basse vitesse, forte incidence) l’aéronef se trouve au bord de la perte de contrôle.

9. Les évènements se précipitent à 1h 45m : le niveau FL310 est abandonné, l’A/P (Auto-pilot) et l’A/T (Auto Throttle) se déconnectent (en cet instant, on ignore si c’est de manière automatique ou à la suite d’une action humaine), l’EPR décroît jusqu’à des valeurs de ralenti, il se produit une diminution critique de l’assiette de l’aéronef, qui passe rapidement à quelques 70º à piquer pour ensuite se rétablir pendant quelques secondes et puis revenir à des valeurs générant une augmentation de la vitesse verticale, la descente s’intensifiant ; en définitive, la vitesse de l’avion augmente de façon très importante et la trajectoire se maintient dans cette configuration jusqu’à percuter le sol, apparemment sans aucun contrôle de l’appareil.

10. Quelques unes des multiples questions qui se posent sont les suivantes :

  • Quelle est l’origine des changements successifs dans le mode de l’AT ?
  • Existe-t-il une relation entre ces changements et la baisse progressive de l’indication EPR ?
  • Quelles sont les alarmes dont disposent les MD80 pour alerter l’équipage de la proximité d’un manque de sustentation aérodynamique ?
  • L’activation de ces alarmes est-elle enregistrée sur le DFDR ?
  • L’activation du système anti-givrage pourrait-elle être en relation avec le changement de mode de l’A/T et/ou avec la baisse de l’indication EPR ?
  • L’activation de ce système est-elle enregistrée sur le DFDR ?

Nous étudions les systèmes automatiques de vol de cet aéronef pour essayer de comprendre les séquences des évènements et la relation pouvant exister entre telle et telle information. Il serait nécessaire, dans tous les cas, d’attendre que les enquêtes officielles avancent pour obtenir des réponses à beaucoup de ces questions.

En toute hypothèse, certaines des données qui sont déjà disponibles rappellent d’autres accidents, dans lesquels ce même modèle d’avion fut impliqué, ainsi l’accident de la West Caribbean Airways en 2005.

Ce terrible accident serait-il l’exemple supplémentaire d’une industrie aéronautique qui n’aurait rien appris des erreurs du passé ?

 ***

Il a été évoqué récemment dans la Presse l’hypothèse d’un blocage de la sonde PT2 du système de mesure EPR par un effet de givrage.

Il existe des précédents, connus du constructeur et des autorités aéronautiques des Etats-Unis, de baisses brusques et erratiques d’EPR en croisière avec l’A/T en mode EPR LIMIT. Bien que ce soit une hypothèse qui ne puisse être écartée, elle est peu probable, dès lors que, comme cela peut se vérifier sur les graphiques (page 49 du Rapport préliminaire précité), les indications EPR des deux moteurs sont très synchronisées en tous moments (sauf peut-être entre 01.39. 30 et 01.40.30), quoi que soit la baisse antérieure d’indication EPR entre 01.38.00 et 01.39.30 (tellement synchronisées qu’il n’y a qu’une unique et très légère différence entre les deux courbes) qui est à l’origine de la perte progressive de vitesse et de la perte aérodynamique subséquente.

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Un effet de givrage aléatoire et indiscriminé aurait produit des valeurs erratiques et variables pour chacun des moteurs, dès lors que, logiquement, chacun d’eux possède ses propres capteurs PT2. C’est ce qui arriva, par exemple, dans l’incident du vol 970 de Spirit Airlines le 4 juin 2002, investigué en son temps par la NTSB.

Pour autant, la fluctuation et les variations observées entre 01.39.30 ET 01.45.00 seraient-elles dues à l’activation des systèmes anti-givrage, comme plus haut exposé ? Pourraient-elles être associées à un masque des moteurs en raison d’un vol à grande incidence ?